La cour de Cassation de manière ancienne et constante considère que « le droit de la victime à obtenir l’indemnisation de son préjudice corporel ne saurait être réduit en raison d’une prédisposition pathologique lorsque l’affection qui en est issue n’a été ni provoquée ni révélée que par le fait dommageable ».
Elle le rappelle régulièrement et a dû encore une fois le rappeler par un arrêt du 9 février 2023.
Souvent évoqué dans le cas de l’état antérieur (non connu ou asymptomatique) de la victime aggravé par le fait dommageable, il est aussi fréquent de rencontrer des victimes atteintes d’une « pathologie évoluant lentement pour son propre compte ».
S’engouffrant dans ce vocable, le régleur fait alors valoir pour minimiser l’indemnisation, et alors même qu’elle est asymptomatique, que tôt ou tard la victime aurait souffert des conséquences de cette maladie. Les victimes se voient alors tout juste reconnaitre une dolorisation d’un état antérieur.
Dans cette logique de raisonnement, la Cour d’Appel avait donc refusé l’indemnisation de l’incapacité professionnelle de la victime par cette motivation : « Si l’état dégénératif arthrosique n’était pas symptomatique au moment de l’accident, il ne s’agit pas d’une pathologie latente soudainement décompensée, mais d’une pathologie évoluant lentement et pour son propre compte, qui existait antérieurement à l’accident et qui, faute de nécessité d’un examen d’imagerie adaptée, n’avait pas, jusque-là, été mis au jour. »
Rappel à l’ordre la cour de Cassation qui reprend la motivation habituelle.
Ainsi, il n’y a donc pas à distinguer, comme l’a fait la Cour censurée, entre pathologie latente décompensée et pathologie évoluant pour son propre compte.
La condamnation de l’assureur pour offre insuffisante est bien connue des habitués du contentieux des accidents de la circulation puisque le Code des Assurances prévoit expressément les sanctions encourues.
En dehors des accidents de la circulation, les régleurs non sanctionnés – du moins jusqu’à présent – n’hésitaient pas à faire des offres insuffisantes (pour ne pas dire méprisantes compte-tenu des préjudices subis par les victimes)
Aussi la position du Conseil d’État dans son arrêt du 21 mars 2023 est-elle la bienvenue et pourrait enfin sonner la fin de la récré !
Le Conseil d’État, qui est notamment compétent pour l’indemnisation des victimes d’accidents médicaux subis dans les établissements de santé publics, a condamné l’assureur de l’hôpital en cause au paiement d’une indemnité destinée à réparer les préjudices ayant résulté directement pour la victime ou ses ayants droit du caractère manifestement insuffisant de l’offre. Le Conseil d’État énonce très clairement que « ce préjudice est constitué par le fait pour la victime ou ses ayants droit de s’être vu proposer une offre manifestement insuffisante au regard du dommage subi et d’avoir dû engager une action contentieuse pour en obtenir la réparation intégrale en lieu et place de bénéficier des avantages d’une procédure de règlement amiable. »
Reste à savoir ce qui pour le Juge Administratif représente une offre manifestement insuffisante…
Quand une personne est victime d’une infraction, les mécanismes dits de solidarité nationale lui permettent de saisir la CIVI (Commission d’indemnisation des victimes d’infraction). C’est alors le Fonds de garantie qui indemnisera la victime.
Mais la saisine de la CIVI est strictement encadrée dans des délais de forclusion :
Quand l’auteur de l’infraction est condamné à verser des dommages et intérêts à la victime, ce délai d’un an ne court qu’à compter de l’information donnée à cette dernière de la possibilité de saisir la CIVI.
Contrairement à ce qu’il y parait, les délais pour saisir la CIVI sont courts, trop courts au regard quelques fois de la durée des enquêtes. Ce délai apparait d’autant plus court quand la victime de l’infraction est mineure et n’est donc pas en capacité d’exercer ses droits.
S’agissant d’un délai de forclusion et non une prescription, la minorité de la victime de permettait pas d’en suspendre le cours.
Cette situation apparait injuste pour la victime qui à sa majorité ne peut plus exercer une action que ses représentants légaux ont délaissé du temps de sa minorité.
Néanmoins, l’article 706-5 du Code de Procédure Pénale prévoit des possibilités pour la commission de relever le requérant de la forclusion et donc d’accueillir sa demande.
Ainsi, la Cour de Cassation dans un arrêt du 15 février 2024 accueille comme motif légitime au relevé de forclusion la minorité de la victime qui n’était pas en mesure de faire valoir ses droits.
Cette solution jurisprudentielle est bienvenue pour les victimes et s’inscrit dans la continuité d’un changement législatif.
En effet, l’article 706-5 du Code de Procédure Pénale a été modifié puisque les délais mentionnés pour saisir la CIVI ne commenceront à courir qu’à compter de la majorité des victimes mineures au moment des faits. Cette amélioration ne vise cependant que les faits commis après le 20 novembre 2023.
C’était un arrêt très attendu depuis celui rendu par l’Assemblée Plénière de la Cour de Cassation le 20 janvier 2023 qui avait alors jugé que la rente accident du travail n’indemnise plus le déficit fonctionnel permanent.
Se posait alors la question de la pension d’invalidité. C’est chose faite !
Dans son arrêt du 6 juillet 2023, la deuxième chambre civile dans un moyen relevé d’office a jugé que « désormais, le pension d’invalidité ne répare pas le déficit fonctionnel permanent ».
Cette position est précédée d’une remarquable démonstration de son raisonnement avec rappel de la méthode de calcul de la pension d’invalidité : « Cette jurisprudence [antérieure], qui se justifiait par le souhait d’éviter des situations de double indemnisation du préjudice, se conciliait imparfaitement, ainsi qu’une partie de la doctrine a pu le relever, avec les modalités selon lesquelles cette pension est calculée. En effet, selon les articles R. 341-4 et suivants du code de la sécurité sociale, elle est déterminée, de manière forfaitaire, en fonction du salaire annuel moyen de l’assuré et de la catégorie d’invalidité qui lui a été reconnue.
30. La Cour de cassation, qui décidait, depuis 2009, que la rente accident du travail indemnisait les postes de pertes de gains professionnels et d’incidence professionnelle ainsi que celui du déficit fonctionnel permanent (notamment 2e Civ., 11 juin 2009, pourvoi n° 08-17.581, Bull. 2009, II, n° 155), a remis en cause sa jurisprudence par deux arrêts rendus en assemblée plénière qui ont jugé que la rente versée à la victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle ne répare pas le déficit fonctionnel permanent (Ass. plén., 20 janvier 2023, pourvoi n° 21-23.947 et Ass. plén., 20 janvier 2023, pourvoi n° 20-23.673, publiés).
Le calcul de la rente accident du travail se fait, comme pour la pension d’invalidité, sur une base forfaitaire, de sorte qu’une distinction entre les modalités de recours des tiers payeurs selon qu’il s’agit de l’une ou l’autre prestation ne se justifie pas.
L’ensemble de ces considérations conduit à juger, désormais, que la pension d’invalidité ne répare pas le déficit fonctionnel permanent. »
Vaste sujet que la déduction de la PCH sur l’indemnisation reçue de la victime !
La prestation de compensation du handicap (PCH) est une aide financière destinée à compenser la perte d’autonomie dans la vie quotidienne et sociale. Elle est allouée à la victime qui en fait le demande par la CDAPH ; elle est, depuis le 1er janvier 2022, attribuée pour une durée de maximale de 10 ans(et de façon exceptionnelle sans limitation). A la fin de ladite période, il appartient au bénéficiaire de la PCH de déposer un nouveau dossier. Il n’est en revanche jamais certain que la personne qui a bénéficié de la PCH une première fois se la verra attribuer une nouvelle fois…
Quand la victime a droit à une indemnisation par un tiers responsable, s’est posée la question de savoir si la PCH pouvait se déduire de l’indemnisation à la charge de ce tiers.
Pour les assureurs, la jurisprudence est claire : c’est non ! La PCH n’est pas une prestation soumise à recours.
Mais dans le cas où l’indemnisation est à la charge du Fonds de Garantie, c’est l’article 706-9 du CPP qui donne la réponse : la CIVI, compétente en pareil cas, « tient compte également des indemnités de toute nature reçues ou à recevoir d’autres débiteurs au titre du même préjudice ».
Les termes « indemnités de toute nature reçues ou à recevoir » étend de façon très large les possibilités de déduction…
S’engouffrant dans cette brèche, le Fonds de Garantie ne manque pas de demander la déduction d’une éventuelle PCH qui n’est pas toujours sollicitée par les victimes et de la déduire à titre viager alors même que rien n’en garantit le caractère viager….
En l’espèce le Fonds avait obtenu de la Cour d’Appel sur le fondement de l’article 706-10 CPP de subordonner le versement des sommes au titre de la tierce personne à la production annuelle de non perception de la PCH.
Censure – bienvenue – de la Cour de cassation qui juge que le versement de la rente au titre de la tierce personne n’est pas subordonné à une telle justification !
« Les choses que je verrai ou que j’entendrai dire dans l’exercice de mon art, ou hors de mes fonctions dans le commerce des hommes, et qui ne devront pas être divulguées, je les tairai, les regardant comme des secrets inviolables. » (serment d’Hippocrate)
Le secret médical, qui trouve son origine dans le serment d’Hippocrate, est un devoir fondamental de l’exercice de la profession médicale, aujourd’hui encadré tant sur le plan pénal que déontologique.
Le secret médical est un devoir du médecin et un droit du patient. En dehors des exceptions strictement encadrées par la loi, le médecin n’a pas le droit de révéler une quelconque information sur un patient sans l’accord de celui-ci.
Une telle violation est punie d’un an d’emprisonnement et 15 000€ d’amende, à laquelle peut s’ajouter la mise en œuvre de la responsabilité du médecin dès lors que le patient souffre d‘un préjudice moral ainsi que les sanctions disciplinaires.
En matière de dommage corporel, s’est posée la question du respect du secret médical au cours des expertises : l’expert est-il délivré de cette obligation dans la mesure où la victime n’est pas son patient ?
La réponse, si elle paraissait évidente, ne l’était en réalité par pour tout le monde…
En l’occurrence, la victime d’un accident de la circulation avait subi une expertise diligentée par un assureur dans un cadre amiable. Contrainte de demander plus tard la désignation d’un expert judiciaire, elle avait eu la désagréable surprise de voir le médecin-conseil de l’assureur produire devant l’expert judiciaire le rapport d’expertise médicale établi par ses soins.
Elle avait alors déposé plainte pour violation du secret médical.
Sur le plan pénal, la Cour de cassation confirmait le 16 mars 2021 que « la communication à un tiers d’une pièce médicale couverte par le secret médical est par principe interdite, sauf accord exprès de la personne concernée »
Sur le plan disciplinaire, la chambre disciplinaire du Conseil de l’Ordre des Médecins avait infligé un blâme au médecin. En appel, la chambre disciplinaire nationale avait annulé cette décision et rejeté la plainte de la victime.
Le Conseil d’Etat annule cette décision le 15 novembre 2022 et retient « qu’il résulte de l’article L.1110-4 du Code de la santé publique que le partage d’informations couvertes par le secret médical entre professionnels de santé requiert le consentement de la personne concernée »
Lien Légifrance Conseil d’État
Lien Légifrance Cour de Cassation
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Le 19 janvier 2023, la Cour de Cassation apporte des éléments de précision d’une grande utilité sur le calcul du préjudice économique d’une victime par ricochet, en l’occurrence un des enfants de la victime directe.
En cas de décès de la victime directe, le calcul du préjudice économique de la famille (en réalité les membres du foyer fiscal) n’est pas chose aisée puisqu’il est tenu compte des revenus avant décès tant du foyer fiscal que de la victime directe, de la part d’autoconsommation de chacun d’entre eux et enfin de l’espérance de vie ou dans le cas des enfants de la durée prévisible du maintien au domicile des parents.
Une difficulté supplémentaire intervient dans l’hypothèse où les parents sont divorcés : faut-il tenir compte de la contribution à l’entretien et à l’éducation (la pension alimentaire) que le père versait à la mère décédée ?
Pour la Cour de Cassation, le préjudice économique d’un enfant du fait du décès d’un de ses parents doit être évalué sans tenir compte ni de la séparation ou du divorce de ces derniers, puisque cette circonstance est sans incidence sur l’obligation de contribuer à l’entretien et à l’éducation de l’enfant, ni du lieu de résidence de celui-ci.
L’article 3 de la loi Badinter du 5 juillet 1985 dispose « Les victimes, hormis les conducteurs de véhicules terrestres à moteur, sont indemnisées des dommages résultant des atteintes à leur personne qu’elles ont subis, sans que puisse leur être opposée leur propre faute à l’exception de leur faute inexcusable si elle a été la cause exclusive de l’accident. »
Depuis une série d’arrêts du 20 juillet 1987, la Cour de Cassation a défini la faute inexcusable de la sorte : « seule est inexcusable, au sens de la loi du 5 juillet 1985, la faute volontaire d’une exceptionnelle gravité, exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait du avoir conscience. »
Le 21 décembre 2023, la Cour de cassation a censuré une cour d’appel d’avoir caractérisé une telle faute dans un cas où finalement même si la victime a été imprudente, elle n’a pas commis de faute inexcusable. Précisons que la victime « évoluait sur une planche à roulettes, à très vive allure, dans une rue à forte déclivité, sans avoir arrêté sa progression en bas de cette rue, dans une ville très touristique, au mois d’août, à une heure de forte circulation, en étant démuni de tout système de freinage ou d’équipement de protection ».
La Cour de cassation adopte par cette position l’esprit qui a présidé au vote de la loi Badinter de pouvoir indemniser la quasi-totalité des victimes non-conductrices.
Dans un arrêt du 19 janvier 2023, la Cour de Cassation reconnait le droit à indemnisation de la victime d’une agression au titre de sa perte de revenu en dépit d’un rapport d’expertise défavorable (en l’occurrence, il était mentionné que son état séquellaire n’était pas incompatible avec la reprise d’une activité professionnelle). Elle retient en effet que ces conclusions du rapport étaient contredites par une décision de la MDPH (Maison départementale pour les personnes handicapées) et la preuve d’un emploi antérieur.
De même, l’incidence professionnelle est prouvée par l’analyse de la situation socioprofessionnelle (décision de la MDPH et emploi antérieur) même si le patient présentait un état antérieur connu.
Il est important de rappeler qu’en plus – ou en l’occurrence en dépit- du rapport d’expertise, les préjudices des victimes peuvent être prouvés par les pièces médicales et l’analyse de la situation socioprofessionnelle.